Il est 6h du matin en Californie, c’est l’après-midi à Hossegor dans les Landes. Elizabeth Pepin vient de se réveiller, et je m’imagine que la cinéaste sera un peu endormie. Mais dès la connexion de l’appel vidéo, Elizabeth commence à me poser des questions. Cela ne m’étonne pas. C’est grâce à cette curiosité et son autodétermination que la réalisatrice a réalisé trois documentaires sur des femmes dans le surf – One Winter Story, La Maestra, et le plus récent, Introducing the Super Stoked Surf Mamas of Pleasure Point. Le film porte sur un groupe des mamans surfeuses et raconte leur histoire d’amitié, la maternité, et leur rapport au surf. Le film, qui a inauguré l’International Surf Film Festival à Anglet cette année, a remporté le Prix du Public.
Wave Radio : On trouve les Surf Mamas super captivantes. Normalement, les films du surf portent sur des légendes du surf. Comment as-tu rencontré les Surf Mamas ? Et pourquoi raconter leur histoire ?
Elizabeth Pepin : Je connais Katy Loggins depuis longtemps. J’étais photographe de surf et une marque m’a envoyée au Mexique en 1999 / 2000. Katy était l’une des monitrices de surf dans le surf camp des femmes. On a toujours gardé le contact. C’est elle qui m’a raconté l’histoire des surf mamas. Elle voulait faire un film mais elle ne savait pas comment. Je l’ai dit : tout simplement, va chercher un photo appareil et commence à filmer. Finalement, j’aimais beaucoup l’idée et j’ai lui demandé si je pouvais le réaliser avec mon partenaire, Paul Ferraris.
J’ai commencé la photographie de surf en 1995. Rapidement je me suis rendue compte que les professionnels du surf ne m’intéressaient pas. Ni les hommes, ni les femmes. C’est cool le surf professionnel mais la motivation est évidente – c’est l’argent. C’est leur boulot. Mais pourquoi le surf inspire une mère à trouver du temps dans son planning ? Ou trouver quelqu’un qui garde ses enfants ? Ou tous les autres trucs fous que l’on doit faire pour avoir qu’une heure dans l’eau ? Ça, c’est une histoire incroyable ! C’est ça qui attire mon objectif. Des femmes normales qui sont tombées amoureuses du surf. Comment le surf a changé leurs vies. Et je n’ai jamais vu un film de femmes enceintes qui surfent. Aux États-Unis, être enceinte c’est comme être malade. Je trouve ça marrant parce le corps des femmes est conçu pour avoir des enfants, et la plupart des femmes vivent une grossesse normale et saine. Donc, si vous êtes surfeuse et enceinte, il n’y a aucune raison de ne pas continuer à surfer. En suivant quelques précautions et en surfant accompagnée. Katy a surfé jusqu’à huit mois de grossesse.
Tu es une femme qui raconte les histoires des autres femmes. C’est important qu’une femme raconte l’histoire d’une femme ? Le point de vue est plus nuancé ?
Ma perspective est différente de celle d’un homme. Dans ma manière de raconter une histoire. Mais aussi dans la façon dont je filme. Je fais très attention à la composition, à la partie de l’image sur laquelle faire la mise au point. Il y a des angles qui montrent la femme dans une lumière plus attractive. Parfois quand les hommes filment les femmes, ils fixent l’objectif d’une façon que je n’aurais pas choisi. L’objectif, c’est une extension de l’œil. Et le pointer sur la poitrine ou l’entrejambe n’est pas approprié.
Les femmes m’ont donné le privilège d’entrer dans leurs vies pour les raconter. Chaque réalisateur a le contrôle éditorial. Mais, j’essaye de n’avoir pas d’intentions cachées, et laisse chaque histoire se dérouler comme les femmes le souhaitent. C’est l’opportunité de raconter leur vérité.
C’est vrai, comme tu disais, le regard masculin se trouve dans la photographie de surf aussi.
C’est la raison pour laquelle j’ai suivi ce parcours en 1995 : les magazines de surf aux États-Unis m’ennuyaient. Le personnel de ces magazines était toujours des hommes. Et les décisions visuelles et éditoriales qu’ils faisaient m’énervaient vraiment. Il n’y avait pas de photos de femmes qui surfent. Il y avait des photos de femmes en bikini. Si elles ont de la chance, elles tiennent une planche du surf. Je n’ai aucun problème avec des corps beaux, masculin ou féminin, mais c’était des magazines de surf. On ne voit pas ça dans les magazines de VTT ou d’alpinisme ! Plus les femmes ont surfé et moins les magazines de surf n’ont pas reflété ce changement. J’ai commencé la photographie de surf pour montrer une perspective diffèrente. Les femmes sont aussi des athlètes fortes, belles, et elles peuvent surfer aussi bien que les hommes. Il faut que l’on montre ça et que l’on arrête le « soft porn ».
Je ne sais pas si ça a beaucoup changé. On ouvre un magazine et on trouve les mêmes choix éditoriaux. Qu’est ce que tu en penses ?
Mais c’est possible de voir des femmes surfer aujourd’hui. Il y a des films où les femmes surfent, par exemple. Mais en général, tu as raison. On est habitué a voir des hommes, et quand on voit une femme, elle a toujours des yeux bleus, des cheveux blonds, elle porte un bikini provocant, et se trouve rarement sur une planche de surf. Il y a du boulot ! Il n’y a pas trop de femmes dans le personnel des magazines de surf et cela se reflète dans leurs pages.
Et la seule manière de combattre, ç’est de continuer à créer ?
Exactement ! C’est pour ça que c’est important que les femmes prennent les choses en main et partagent ces histoires, ces images. On est les seules qui peuvent faire une différence. Prendre un appareil photo. Même sans formation. Je suis autodidacte, j’ai appris de mes erreurs.
C’était quoi ton premier documentaire ?
On a commencé [One Winter Story] en 2001. C’est sorti en 2006. On ne savait pas ce qu’on a faisait. On pensait que le tournage durerait une année. Finalement, cela a pris cinq ans. J’ai travaille avec Sally Lundburg, une cinéaste et surfeuse qui habite à Hawaii.
Cinq ans ?
Oui, c’était fou !C’est important de savoir que Mavericks, ce n’est pas une vague normale. Elle fonctionne quand elle fait plus de 5 mètres, et seulement l’hiver. Il faut attendre les conditions idéales. Si la vague est grande mais qu’il y a trop de vent, cela ne marche pas. Et surtout, on filmait une personne. Le film ne portait pas sur la vague, mais sur Sarah et la vague. On avait de la chance quand elle pouvait surfer une, deux vagues chaque session. En plus, on a choisit le format long-métrage. Et pour une raison incompréhensible, nous avons décidé de faire le film en Super 8 et 16 mm. C’était super cher. Donc quand on n’avait plus d’argent, on vendait des pâtisseries sur la plage. On a fait des trucs comme ça pour le financer parce qu’on n’aurait jamais reçu des fonds de marques de la glisse.
Tu es pleine de ressources !
Oui, j’aimais bien le punk rock quand j’étais adolescente. Il y a un esprit puissant dans cette musique qui t’inspire pour changer ce que tu n’aimes pas et prendre des initiatives. Je n’aimais pas la musique des années 70’s et 80’s, donc j’ai commencé a faire des concerts moi-même. Et cette philosophie m’a changé la vie. Quand quelque chose m’énerve, je prends l’initiative et je le fais à ma manière.
Les documentaires sont vraiment difficiles à réaliser. Pour une fiction, on peut planifier mais les documentaires demandent de l’intuition. Pourquoi as-tu choisi de te consacrer à ce mode d’expression ?
Pour cette raison exactement. J’aime qu’on puisse concevoir une idée, imaginer savoir exactement comment elle va se dérouler, puis finir dans un contexte complément différent. On commence un film, on est sûr de le finir dans l’année mais finalement, il prend 5 ans. Au début,One Winter Storyavait une fin dans laquelle Sarah Gerhardt, enceinte, était triste de ne pas pouvoir surfer Mavericks. Puis le même jour, est arrivée Jenny Ulseldinger, la deuxième femme à avoir jamais surfé Mavericks, pour sa première session là-bas. On ne peut pas inventer une meilleure conclusion. Le film a complément changé. Jenny et Sarah se parlent, puis Jenny rame et elle prend sa première vague. Voilà, la fin du mon film.
Ça aurait être impossible d’avoir une meilleure fin.
C’est pour cette raison que j’aime réaliser des documentaires. Incroyable, n’est-ce pas ? Il ne pas être rigide. Il faut suivre le rythme et s’adapter rapidement quand tout change autour de toi.
Tes projets en cours ou futurs ?
Je viens de fêter mes 54 ans. Quand je mourrai, je serais énervée de ne pas avoir eu le temps de finir les 20 projets que j’ai en tête. J’ai toujours des projets. Mon art et ma vie sont toujours liés. Je n’ai pas un boulot. C’est ma vie. Je n’arrête jamais parce que je l’aime trop. Parfois, je me sens frustrée, parfois je pleure, mais il y a aussi des beaux moments de bonheur. C’est un métier incroyable que j’ai trouvé, qui me donne envie de me réveiller chaque matin. Aujourd’hui, j’ai deux livres en cours d’écriture et quatre projets de films. Tous dans le domaine du surf.
Propos recueillis par Lyzbeth Lara.
Teaser for the Super Stoke Surf Mamas of Pleasure Point from paul ferraris on Vimeo.